L’expérimentation est le meilleur levier de l’innovation opérationnelle car elle permet de confronter le concept au principe de réalité et de réunir la matière permettant de l’adapter en vue de le pérenniser (ou parfois de décider de l’abandonner).
Dans le cadre de mes fonctions, je suis régulièrement confronté à des métiers qui souhaitent expérimenter des idées qui leur semblent à forte valeur ajoutée, mais pour lesquelles une validation « sur le terrain » leur paraît indispensable avant de se lancer dans un projet de déploiement nationale de grande ampleur. Lorsqu’il s’agit d’innovation IT, ces métiers se heurtent souvent à une difficulté de taille : leur DSI. En effet, alors que cette dernière devrait être d’une aide précieuse, elle se révèle souvent être au contraire le single point of failure du projet d’expérimentation de part sa volonté de faire rentrer l’expérimentation dans les cases bien dessinées de sa gouvernance IT (demande d’une expression de besoin très formalisée et très précise pour lancer une étude d’avant projet de plusieurs mois qui débouchera sur une proposition d’étude technique de plusieurs K€ avant de pouvoir réaliser et fournir la moindre application concrète…).
Pourquoi cette situation ? Simplement parce que la DSI veut s’assurer que les technos employées lors de l’expérimentation seront en conformité avec les choix d’architectures et l’urbanisation du SI. En procédant ainsi, la DSI se trompe de cible et crée un climat faisant de toute démarche d’innovation IT un parcours du combattant. En effet, le but d’une expérimentation d’innovation IT est d’en valider les usages, non l’outil et la technologie qu’il y a derrière. Cette étape viendra après.
le but de l’expérimentation d’innovation IT est de valider l’usage, non l’outil
Expérimenter des usages IT innovants sur le terrain n’est pas compliqué à condition de mettre en place une organisation adaptée, acceptée par chaque grand contributeur (DSI y compris). Je vous propose dans ce billet ma vision d’une telle organisation d’innovation opérationnelle, centrée sur l’expérimentation des usages.
Quel but ?
Permettre l’expérimentation rapide et sur le terrain de solutions IT innovantes afin d’en évaluer la valeur ajoutée en terme d’usage pour l’entreprise et ses clients.
L’organisation.
Il s’agit d’un exemple général qui demande à être adapté aux spécificités de chaque entreprise. Cette organisation pose les bases d’une démarche d’innovation IT centrée sur l’expérimentation, dans laquelle clients et employés sont au cœur de la démarche via des « labs ». Un des points clés est de rendre les employés acteurs de l’innovation, ainsi que les clients dans le cas de sites ouverts au public. Cela passe par une communication claire, transparente, régulière, facilement accessible (la roadmap en particulier) ainsi qu’une démarche favorisant le feed-back (questionnaires d’évaluation, interview sur les sites, …). Un autre point clé à mon sens est l’obligation de résultat de ce nouveau département. En effet j’ai constaté que trop de directions d’innovation passaient plus de temps à se faire réellement plaisir qu’à créer de la valeur pour les autres. Ainsi, une obligation de résultats concrets et mesurables me semble un garde fou indispensable.
L’organisation :
- Une équipe au siège rattachée à une direction légitime, proche de la DG (1 à 3 personnes),
- Des référents métiers identifiés dans chacune des autres directions métier
- Des sites sur le terrain estampillés « laboratoires » (4-5, de typologie différente)
- Des référents en territoires pour assurer le relai avec les « labs »
- Une équipe agile dédiée à la DSI (3-5 personnes)
- Plusieurs instances dédiées à la gouvernance et au pilotage du dispositif
- Et pour aller plus loin un partenariat avec des universités ou grandes écoles
Le principe de fonctionnement.
Le maître mot : expérimenter !
En résumé, il s’agit de mettre en place rapidement un prototype qui couvre parfaitement les usages à expérimenter sans obligatoirement être basé sur une technologie « industrialisable ». Une fois l’expérimentation lancée, les équipes techniques peuvent disposer du temps nécessaire à l’étude de faisabilité de l’industrialisation de l’usage en étant au plus proches des règles de gouvernance IT de l’entreprise.
Premier mois => conception
- cadrage du contenu de l’expérimentation
- identification de la stratégie de communication « labs » / clients
- définition de la stratégie de conduite du changement
Second mois => réalisation du prototype
- développement des prototypes
- finalisation du plan de com et lancement officiel
- finalisation et démarrage de la conduite du changement
Troisième mois au cinquième mois => expérimentation et étude de faisabilité d’industrialisation de l’usage
- définition et mise en oeuvre de la grille d’évaluation clients / « labs » à la fin du 1er mois
- en // sur les 3 mois, étude de faisabilité de la généralisation de l’usage en mode industrialisé
Sixième mois => Bilan
- évaluation de la valeur ajoutée de l’usage pour le « lab » et les clients
- mise en regard avec les résultats de l’étude de faisabilité pour une généralisation industrialisée
- arbitrage sur le lancement ou non du projet de généralisation de l’usage
- arbitrage sur le maintien ou non du dispositif dans les « labs »
L’importance de la communication.
Donner de la visibilité est un des points clé du dispositif. La mise en place d’une roadmap visible par les sites ET les clients (niveau de détail différent pour chacun) y participe activement. Elle devra être mise à jour bimensuellement et présentera le suivi des éléments suivants :
- Les idées innovantes relevées mais non étudiées
- Les idées innovantes en cours d’étude
- Les idées innovantes éligibles dans l’année
- Les expérimentations à venir
- Les expérimentations en cours
- Les expérimentations terminées
- Les usages généralisés ou en cours de l’être
Pour alimenter le dispositif en idées innovantes, il est opportun de s’appuyer sur le dispositif d’innovation participative ou d’en mettre un en place s’il n’existe pas.
Innover n’est ni compliqué ni coûteux.
Le tableau simpliste que je viens de brosser n’est certainement pas nouveau, ni parfait et ne fonctionnera probablement que dans le monde des bisounours ;). Pour autant, beaucoup d’entreprises se privent de puissants levier que sont les idées de leurs employés parce qu’elles ne disposent pas d’une organisation permettant de les faire émerger et surtout de les expérimenter. En ce sens, les démarches d’innovation participatives sont une première réponse car elles contribuent à l’émergence d’idées innovantes pertinentes puisqu’issues du « terrain ». Malheureusement, quand il s’agit d’IT, la difficulté est souvent de concilier le besoin d’expérimenter avec les exigences de la DSI qui sont rarement compatibles avec la notion d’expérimentation et d’immédiateté (attention, je ne critique pas le fait d’avoir une gouvernance IT, je pense simplement qu’il faut aussi un peu de souplesse). Je milite donc pour la création d’un département d’innovation opérationnelle dans chaque entreprise, afin de permettre l’émergence d’innovation apportant de la valeur au quotidien que ce soit aux clients ou aux employés. Concernant la question du coût, quand je vois les K€ passés dans certains projets fonctionnellement et techniquement « simples », je me dis qu’il ne sera pas très difficile de montrer la valeur ajoutée du budget d’un tel département..
Pour conclure ce billet, je vous invite à consulter cet article qui présente une innovation de la Société Générale mettant à profit la simplicité d’usages des tablettes. On y apprend qu’après 3 mois d’expérimentation, la Société Générale équipe en ce moment ses 137 plus grandes agences françaises en iPad afin d’encourager les clients (près d’un million seront concernés) à laisser leurs impressions sur la qualité de l’accueil, le temps d’attente, les horaires d’ouverture ou le confort des lieux…